Officialisée en 2014, l’association Wikimédia Côte d’Ivoire est l’un des User Groups les plus dynamiques d’Afrique francophone. Ateliers, formations : les bénévoles sur place s’engagent résolument en faveur de la connaissance libre dans un pays en pleine transition numérique. Pas étonnant, donc, que ce groupe motivé ait souhaité participer aux réflexions en cours au niveau mondial autour du processus stratégique Wikimédia 2030. Leur objectif : faire remonter les enjeux spécifiques d’un pays du Sud, et ainsi contribuer à façonner pour l’avenir un mouvement Wikimédia plus inclusif.
Dans cet entretien avec Donatien Kangah Koffi, président de Wikimédia Côte d’Ivoire, nous revenons sur les salons stratégiques organisés à Abidjan cet été, et plus généralement sur les enjeux et les aspirations de la communauté wikimédienne ivoirienne.
Diane Ranville (Liaison Stratégie pour la communauté francophone) : Bonjour Donatien. Pour commencer, peux-tu te présenter ? Qui es-tu à l’intérieur et à l’extérieur de Wikimédia ?
Donatien Kangah Koffi : Dans la « vie réelle », j’ai plusieurs casquettes. Je suis chef d’entreprise d’une jeune agence de communication digitale, mais aussi consultant web auprès d’organisations liées à la société civile et aux médias. J’ai par exemple travaillé avec l’Institut Panos pour un projet de promotion des droits des femmes à travers les médias sociaux. Et pour finir je suis aussi chargé de cours à l’École de Journalisme d’Abidjan, au sein de l’Institut ISTC Polytechnique.
Et puis évidemment je suis wikipédien ! J’ai découvert Wikimédia en 2011-2012, puis ça a été le grand saut en 2013. Ensuite j’ai contribué à fonder le User Group en 2015, et après le départ de la première présidente, j’ai pris la succession jusqu’à aujourd’hui.
D.R. : En Côte d’Ivoire vous avez organisé pas moins de 3 événements liés à la stratégie au cours de l’été 2019. Est-ce que tu peux nous raconter comment sont nés ces événements et en quoi chacun était spécifique ?
D.K.K. : Effectivement on a organisé trois événements bien différents, qui ont tous eu lieu début juillet.
D’abord on a réagi à l’initiative de la Core Team du processus stratégique, qui a proposé à tous les affiliés la possibilité d’organiser et de financer deux types d’événements : les « salons stratégie » et les « salons jeunes ».
Le salon jeunes nous a tout de suite interessés parce que la communauté Wikipédia en Côte d’Ivoire, ce sont essentiellement des moins de trente ans. Moi j’ai 31 ans et je suis déjà un ancien ! [rires] Les plus âgés sont des soutiens moraux, mais pas des militants actifs. Le salon jeunes était donc une évidence.
Pour cet événement-là on s’est focalisés sur le thème de la Diversité, qui paraissait plus accessible, et qui permettait donc de s’adresser à des jeunes qui n’étaient pas forcément familiers de Wikimédia.
Ensuite on a organisé un salon stratégique « classique », qu’on a adressé plus spécifiquement aux adhérents de notre User Group. On y a abordé des thématiques un peu plus techniques (Rôles et responsabilités, Génération de revenus et Répartition des ressources) qui étaient mieux à même d’être comprises par des personnes déjà un peu expérimentées dans le mouvement Wikimédia.
Et le troisième événement stratégique, c’est ce qu’on a appelé le « Meet Up avec Nikki Zeuner ».
Il se trouve que j’étais membre du groupe de travail « Renforcement des capacités », et Nikki Zeuner, qui en est la coordinatrice, effectuait une visite de travail à Abidjan. Donc il nous a paru logique de saisir cette opportunité pour organiser une rencontre avec la communauté.
Nous avons donc organisé une consultation avec les personnes les plus intéressées par la thématique Capacity Building. C’est-à-dire à la fois des membres actifs de notre User Group, mais aussi des partenaires actuels ou potentiels comme l’Institut Goethe, le réseau des bibliothécaires, ou encore l’association de slammeurs L’École des Poètes.
On a donc vraiment eu trois types d’événements distincts : un salon plutôt « professionnel » autour de la venue de Nikki Zeuner, un salon dédié aux membres, et un salon pour la jeunesse.
D.R. : Ces événements ont été un succès, avec 25 participants en moyenne pour chaque atelier. Et contrairement à d’autres pays, il semble qu’en Côte d’Ivoire les participantes féminines étaient au rendez-vous ?
D.K.K. : C’est vrai qu’au niveau de la diversité de genre, la proportion atteignait à peu près 40/60, avec donc 30-40% de femmes. Je ne sais pas pourquoi, mais naturellement ici on a toujours eu des femmes très engagées dans la communauté.
Déjà dès la création de l’association, avant moi, c’était une Présidente. Et actuellement j’ai une vice-présidente, Dominique [Dominique Éliane Yao sigan]. Et régulièrement on a des jeunes femmes qui facilement nous rejoignent. Peut-être qu’il faudrait que je cherche à comprendre pourquoi ! [rires]
D.R. : Ces événements stratégiques ont-ils intéressé les participant·e·s ? Qu’en avez-vous retiré en tant que communauté ?
D.K.K. : Il y a d’abord une certaine fierté. Quand on a parlé de ce projet autour de nous, les personnes extérieures au mouvement étaient, disons, admiratives, du fait que nous soyons déjà en train de réfléchir à une stratégie à horizon 2030, et que nous ayons une consultation mondiale qui cherche à être de plus en plus inclusive. Donc ce sentiment de participation à une initiative mondiale, avec la prise en compte des avis locaux, c’est un aspect qui a été très apprécié.
Aussi, recevoir quelqu’un comme Nikki, qui vient du Chapitre allemand Wikimedia Deutschland, dont nous étions très curieux du fonctionnement, ça a été très intéressant en termes d’échanges culturels, d’apprentissage, de réflexions…
Ça a pu être un peu lourd en termes de stress et d’organisation, car on a enchaîné trois gros événements en l’espace de 10 jours. Mais on en est ressortis contents, satisfaits d’avoir pu apporter notre pierre à ce processus international.
Par ailleurs, localement, ça a aussi été une occasion de créer une dynamique. Ça nous a permis de faire venir des membres de villes de province, qui n’ont pas souvent l’opportunité de participer. Grâce à ça, on a pu discuter tous ensemble de ce qu’on veut faire en 2020 à l’échelle nationale, notamment au niveau des GLAM.
Donc certaines propositions sont remontées pour la stratégie globale, mais il y en a aussi qu’on a gardées en interne pour façonner notre stratégie locale.
D.R. : Quels sont les sujets qui sont le plus revenus au fil des trois événements ?
D.K.K. : L’un des points qui estbeaucoup revenu, c’est la question de la décentralisation. Ici en Côte d’Ivoire, on a souvent l’impression d’être loin de l’épicentre du mouvement.
On a donc proposé, par exemple, l’idée qu’il pourrait y avoir des bureaux régionaux de la Fondation pour rapprocher les communautés des centres de décision. Même s’il n’y a pas eu l’unanimité sur cette solution, la question de la décentralisation était jugée importante par tout le monde.
On a aussi parlé notamment de la notion de bénévolat. Pour nous, la contribution éditoriale doit rester bénévole, car c’est ce qui garantit un certain désintéressement de l’encyclopédie. Mais sur les aspects d’activisme associatif, c’est différent, notamment dans le contexte africain, où la préoccupation première de l’individu reste d’avoir son pain quotidien.
D.R. : Dans le salon jeunes, les sujets étaient peut-être un peu différents ?
D.K.K. : Oui, en effet. Là, on a plutôt parlé de la communication et de l’image du mouvement Wikimédia.
Les jeunes ont exprimé la nécessité d’être un peu plus offensifs en termes de visibilité des projets et des actions Wikimédia, pour faire connaître le mouvement, l’association et ses valeurs. Ils estiment qu’on est trop discrets, trop méconnus en dehors de nos sphères de prédilection, alors qu’il y a beaucoup de personnes à qui nos projets pourraient être utiles.
D.R. : Oui je me souviens du compte-rendu du salon jeunes. J’ai été étonnée de voir que leurs propositions étaient très axées sur la visibilité, les réseaux sociaux… un peu comme s’ils nous demandaient d’être plus présents sur le marché de l’économie de l’attention dont ils sont la cible !
D.K.K. : Oui, c’est très juste. Même si leurs propositions n’étaient pas toujours réalistes, ils soulèvent des enjeux importants, notamment sur le fait de mieux faire connaître nos valeurs.
D.R. : À tes yeux, quelle vision de l’avenir du mouvement Wikimédia est ressortie de ces événements stratégiques ?
D.K.K. : Je vais parler pour la Côte d’Ivoire. Nous, on souhaite un mouvement où le pouvoir serait mieux distribué : soit que les décisions soient partagées, au sens où tout le monde se sentirait décisionnaire des choix du mouvement ; soit que le centre du pouvoir soit plus proche des communautés, et donc plus représentatif, plus inclusif des communautés comme la nôtre. Voilà la vision qu’on cherche à porter et qui est ressortie des discussions.
D’ailleurs, la décentralisation est aussi une préoccupation que j’ai moi ici au niveau national. Je souhaite que notre association Wikimédia Côte d’Ivoire ne soit pas uniquement centrée au niveau d’Abidjan, au niveau d’un certain milieu social proche du numérique, mais qu’elle soit vraiment un mouvement suffisamment ouvert et suffisamment présent sur tout le territoire pour toucher tous les secteurs et toutes les couches de la société.
Et puis à l’échelle intermédiaire, au niveau régional, on souhaiterait aussi plus de rapprochements et de collaborations entre pays d’une même aire géographique. C’est d’ailleurs la vision que j’ai défendu au sein du groupe de travail « Renforcement des capacités » auquel j’ai participé : plus de collaboration horizontale, plus d’échanges entre pairs. Car au fond ces principes sont au fondement de notre mouvement !
Pour en savoir plus sur l’expérience de Donatien en tant que membre du groupe de travail « Capacity Building » et sur l’histoire et les enjeux des Wikimédien·ne·s en Côte d’Ivoire, guettez la deuxième partie de cette interview, à paraître bientôt !
Lire ou relire la deuxième partie: « Nous sommes à un moment pivot » : Donatien Kangah Koffi raconte la communauté Wikimédia en Côte d’Ivoire
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