Wikimédia en Côte d’Ivoire, c’est une histoire qui ne date pas d’hier… et qu’on connait trop peu ! Après une première partie d’interview dédiée aux trois salons stratégiques organisés à Abidjan, cette deuxième partie vous propose d’en découvrir un peu plus sur l’histoire du User Group ivoirien, ainsi que sur la participation de Donatien Kangah Koffi à l’un des groupes de travail du processus stratégique. De quoi comprendre comment s’articulent enjeux locaux et internationaux à travers une expérience singulière.
Lire ou relire la première partie : Quand la Côte d’Ivoire imagine Wikimédia en 2030
Diane Ranville (Liaison Stratégie pour la communauté francophone) : Tu as évoqué le contexte spécifique de la Côte d’Ivoire. Pour celles et ceux qui ne le connaîtraient pas, peux-tu resituer un peu l’histoire de votre groupe et expliquer ses enjeux actuels ?
Donatien Kangah Koffi : Oui bien sûr. Historiquement, c’est en 2005 que les premiers wikipédiens se sont intéressés au Projet:Côte d’Ivoire sur la Wikipédia francophone.
Ensuite, vers 2007-2008, il y a eu les premiers ateliers en présentiel sous l’impulsion de Zenman, qui est en quelque sorte le doyen du mouvement ici. Cela a abouti à l’époque à la création de près de 4000 articles sur les communes en Côte d’Ivoire ainsi que de quatre articles de qualité. Mais cela restait encore très informelle.
Ensuite il y a évidemment eu une pause en 2010-2011 avec la situation politique qu’on connaît [voir Crise ivoirienne].
Puis les activités ont repris vers 2012. Mes amis et moi avions organisé un événement autour des usages numériques en Côte d’Ivoire. À cette occasion, Samuel Guebo a animé un atelier autour Wikipédia qui nous a beaucoup intéressés, et suite à cela une dynamique s’est créée peu à peu.
En 2013 nous avons fondé une association, puis notre User Group a été reconnu officiellement par la Fondation Wikimedia le 28 novembre 2014. Et à partir de là, nous avons pu organiser des activités de plus en plus structurées, notamment le travail sur le processus stratégique.
Aujourd’hui, je pense que nous sommes à un moment pivot.
Notre organisation a pris de l’ampleur : nous avons deux groupes territoriaux dans les villes de l’intérieur, plusieurs clubs dans des universités, ainsi que des groupes de travail thématiques. Nous avons également de plus en plus de partenaires réguliers : l’Institut Goethe, le réseau des bibliothécaires, l’Association des professionnels des sciences de la documentation ; mais aussi des nouveaux qui frappent à la porte, comme l’Institut Français, ainsi que le monde universitaire qui cherche à nous comprendre et à nous accueillir.
On devient donc un peu une grosse machine, et on ne peut plus tourner uniquement autour d’un noyau quelques bénévoles. D’autant que ce noyau repose jusqu’à présent sur « ma génération », si l’on peut dire, qui est de moins en moins disponible au fil du temps à cause d’obligations familiales et professionnelles.
On aimerait donc réussir une double transition, à la fois en passant le relai à la génération suivante, et en trouvant un meilleur équilibre entre bénévolat et professionnalisation.
D.R. : Est-ce que ces enjeux locaux trouvent un écho dans ceux de la stratégie Wikimédia 2030 ?
D.K.K. :Oui, forcément. C’est d’ailleurs pour ça que j’ai choisi de m’investir dans un groupe de travail de la stratégie. Je trouvais important d’être présent. D’une part pour être informés du processus, pour pouvoir apporter notre point de vue à cette réflexion, et d’autre part pour pouvoir articuler notre orientation locale avec les enjeux internationaux.
D.R. : En effet tu as été membre du groupe de travail « Renforcement des capacités ». Comment s’est passé ta participation à ce groupe ?
Ça n’a pas toujours été facile pour moi à cause de la barrière de la langue. Je parle un peu l’anglais, mais j’ai quelques difficultés au niveau du listening, de la compréhension orale. Ça demandait aussi un gros investissement en termes de disponibilités : on a eu des réunions en ligne toutes les deux semaines pendant plusieurs mois. C’était difficile car en parallèle je suivais un master à distance, en plus de tout ce que je fais déjà… [consultant web, chef d’entreprise et professeur – voir la Partie 1 de cette interview].
D.R. : Ah oui, ça fait beaucoup !
Oui ! [Rires] C’était beaucoup d’efforts. Mais malgré tout, ça a été positif. Mes amis et collègues du Working Group ont été très bienveillants, cherchant chaque fois à m’associer, à m’impliquer. La matérialisation de tout ça c’est ce qui s’est passé à Singapour.
En fait à Singapour, on avait une réunion organisée en présentiel. Donc j’ai effectué le déplacement, mais je me suis vu refuser à l’aéroport l’entrée sur le territoire. Ce n’était pas une question de visa. Il n’y pas besoin de visa entre la Côte d’Ivoire et Singapour. Après analyse, il semble qu’ils m’aient refusé pour deux raisons : premièrement, ils n’étaient pas informés qu’une rencontre Wikimédia avait lieu sur le territoire, et deuxièmement, je n’ai pas réussi à justifier que j’avais suffisamment de moyens financiers pour survivre là-bas.
Après cet échec, la réaction des membres du groupe a été de faire venir Nikki à Abidjan pour recueillir mes avis sur les discussions. C’est l’exemple le plus marquant, mais c’est pour dire que tout au long de cette collaboration, ils ont vraiment fait des efforts pour m’inclure. La Core Team a également été très à l’écoute, et a tout fait pour faire venir, quand c’était possible, des facilitateurs qui pouvaient me traduire les échanges, etc.
Au niveau du contenu des discussions, il y avait souvent des positionnements communs entre personnes des pays du Sud, les Africains, les Latinos. Notamment sur la question du bénévolat.
Mais ce n’était pas systématique. J’ai par exemple eu une position différente de celle d’Oscar, du Vénézuela. Lui pense qu’il faudrait payer les gens qui produisent du contenu. Moi, je ne suis pas d’accord avec ça. Par contre je suis pour que l’engagement sur le plan purement associatif puisse donner lieu à des compensations, voire du salaire, car sinon il y a les réalités du terrain qui freinent les possibilités d’actions.
D.R. : Est-ce qu’il y a une proposition en particulier que tu as défendue ?
D.K.K. : Oui. L’une des choses que je voulais faire passer sur la question du renforcement des capacités, c’est l’importance du mentoring, des échanges entre pairs.
À mes yeux ce sont les plus efficaces, sinon les plus pertinents, parce la proximité des contextes culturels permet de mieux se comprendre.
Par exemple nous, on a reçu un Tchadien en Côte d’Ivoire pour une mission de Wikipédien en communauté. Et quand il est revenu chez lui après son année de volontariat, il a lancé dans l’année qui a suivi un User Group Wikimédia Tchad, qui actuellement fonctionne de manière assez intéressante. À l’inverse il y a eu un Burkinabé qui est allé en France, mais qui jusqu’à aujourd’hui n’a pas pu ouvrir un User Group au Burkina.
Mais il n’y a pas que le critère culturel qui compte. Il y a aussi les ressemblances ou différences au niveau structurel. La qualité de « pair » se définit en fait par un critère, qui peut être culturel, structurel, ou même thématique.
J’ai donc beaucoup soutenu cette approche d’échange entre pairs, qui me paraît plus collaborative, plus en phase avec la philosophie open source, plutôt que des formats de formation descendante.
D.R. : Nous parlons déjà depuis plus d’une heure ! Pour finir : qu’attends-tu de la stratégie à présent ?
Eh bien, à l’heure qu’il est je suis curieux de savoir quelles seront les prochaines étapes en 2020, notamment comment on va s’organiser concrètement pour mettre en application les recommandations stratégiques !
Depuis la réalisation de cette interview en octobre 2019, nous en savons désormais un peu plus sur les événements à venir. Il y aura notamment une nouvelle phase de consultation de la communauté aux alentours de janvier-février. Puis les affiliés Wikimédia se réuniront au complet lors du Wikimedia Summit en avril, où l’implémentation de la stratégie sera au cœur des discussions !
Pour en savoir plus, consultez la chronologie des événements stratégiques pour 2020.
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